Article de Presse
D'Architectures, n°48, François Robichon
Septembre 1994
PARC DES PRINCES, STADES MEDIATIQUE
Fierté de Francis Bouygues, le Parc des Princes
représentait en 1966 des enjeux techniques et expert mentaux importants.
Sa mise en œuvre financière fut une autre histoire...
Le Parc des Princes est né du hasard en 1966. Il est l'enfant
du périphérique parisien dont le tracé rencontrait
un vieux stade de la fin du siècle dernier. Il est aussi l'enfant
d'un échec : le projet né au début des années
soixante de doter Paris d'un grand stade moderne. Inconséquence
du programme d'équipement, improvisation urbaine, le stade naît
sous de bien mauvais augures.
Après l'abandon du stade de 100 000 places situé à
Vincennes. pour lequel un concours avait été organisé
en 1963, le Conseil de Paris opte pour le statu quo. Deux ans plus tard,
il saisit l'occasion de l'achèvement du boulevard périphérique
qui entraîne la démolition d'une partie importante du vieux
stade du Parc des Princes, situé prés de la porte de Saint-Cloud,
pour engager sa «transformation ». Cette décision n'était
pas sans arrière-pensées financières. En effet, la
partie détruite était reconstruite sur le budget du périphérique,
donc de l’Etat. Sur un budget prévisionnel de 45 millions de francs,
12,7 sont assumés au titre du périphérique et la Ville
de Paris peut espérer une subvention de l’Etat au titre du ministère
de la jeunesse et des sports d'environ 9 millions. Un stade neuf à
moitié prix !
La précipitation dans la mise en oeuvre du projet, nécessitée
par l'avancement du chantier du périphérique, la complexité
de la mise au point de la construction inhérente à l'innovation
technologique, et l'absence de transparence entre l'administration préfectorale qui gère le projet et le
Conseil de Paris qui paie l'addition constituent un véritable morceau
d'anthologie de dérive budgétaire. Quand le stade est inauguré
en juin 1972, l'addition se monte à 90 millions de francs, soit
le double du budget initial.
Le 6 octobre 1967, le Conseil de Paris décide la reconstruction
d'un stade spécialisé pour le football et le rugby de 50
000 places ainsi que la construction de parcs de stationnement. Le préfet
Doublet avait déjà contacté un nouvel architecte,
Roger Taillibert, un premier projet ayant été écarté.
Celui-ci avait déjà des références en matière
d'équipements sportifs : piscine de Deauville (1966), piscine Carnot
à Paris (1967) et centre d'entraînement olympique de Font-Romeu
(1968). Alors que le programme est donné à l'architecte le
17 novembre 1967 et les crédits d'étude votés le 14
décembre, une première esquisse est présentée
le 18 janvier 1968 ; les devis sont remis le 15 avril et le marché
établi en juin pour l'appel d'offres.
Le 1er juillet 1968, le préfet soumet à la Ville de Paris
le projet définitif et le devis de 45 millions de francs. «
Le projet fait honneur à l'architecte qui l'a conçu, M. Taillibert,
ainsi qu’à la Ville de Paris. Très moderne sur le plan fonctionnel,
il est en même temps sobre de ligne. » (Conseil de Paris, Débats,
12 juillet 1968).
UN BUDGET ELASTIQUE
Pour la prennière tranche de travaux - la reconstruction des
17 000 places détruites -, le budget est de 19 millions, dont 12,7
pris en charge sur les crédits du périphérique. A
la fin de l'année, la Ville de Paris n’engage qu'un budget de 6
millions, en attendant les 26 de la deuxième tranche. Après
que l'entreprise Bouygues ait été choisie, le chantier du
périphérique démarre le 13 décembre 1968 et
celui du stade en novembre 1969. Les travaux doivent être teminés
en juin 1972 pour la finale de la Coupe de France.
A la fin de l'année 1969, le préfet présente le
financement pour l’achèvement du stade, soit 31 millions defrancs
dont la subvention de l'Etat de 9 millions. En 1970, deux millions sont
demandés pour divers travaux. Mais la grande surprise viendra en
1971, quand le préfet Diébolt demande en juin 6,5 millions
puis, en novembre, plus de 22 millions de crédits pour achever le
chantier, dont le gros-oeuvre est terminé depuis août 1971.
Les conseillers de Paris s’émeuvent. Les explications de l’Administration,
qui plaide coupable, sont embarrassées : travaux supplémentaire,
nombreuses modifications, non-prise en compte de la hausse des prix, et
sous-estimation générale, ce qui amène cette réflexion
narquoise du rapporteur, M. Auguste Marboeuf :« N'oublions pas, en
effet, que celui-ci pouvait faire connaître dans le monde entier
l'architecte qui le présentait, que les entreprises chargées
de l'exécuter allaient pouvoir invoquer une réalisation technique
de premier ordre et tout à fait nouvelle. Qu’il y ait eu convergence
d’intérêts pour éviter [...] que le coût global
de l'opération nous effraie, ce serait bien humain... » D’autres
dénoncent la précipitation ou l’irresponsabilité de
l'Administration. L’addition finale est de 90 millions, le double des estimations,
et nécessite des annulations de Programme importantes. Le vote est
acquis à une faible majorité, et l'on se console en comparant
le prix de la place du Parc des Princes (1 800 F) à celui des grands
stades dans le monde (entre 3 000 et 5 000 F, voire 9000 F pour Munich).
Dans son ouvrage « Construire l'avenir », Taillibert avance
les hausses de salaires consécutives à mai 68 qui auraient
entraîné un dépassement de près de 50 %. En
fait, elles n'intervenaient pas dans la rémunération du constructeur,
payé au bordereau, et la charge salariale était faible.
Indéniablement, le Parc des Princes est une réussite
technique et architecturale même si, sur le plan urbain, la reconstruction
est très discutable. Ce stade venait s'insérer dans une zone
très dense, d’où son parking limité, l’Administration
espérant le compenser par le trafic RATP. Ainsi, à chaque
match, tout le quartier est saturé d’automobiles.
Sur l’architecture du Parc, beaucoup a été écrit.
Roger Taillibert, fidèle à ses convictions, a pensé
une architecture fondée sur l'analyse des structures. Les fonctions
de protection et d'accueil du public ont été dissociées
: les consoles assurent la couverture sans gêner la visibilité
tandis que les gradins reposent sur un appui libre. La variation des dimensions
des portiques donne au stade cette forme dynamique.
L'ossature est constituée par un ensemble de 50 portiques autostables,
équilibrés par un système de précontrainte
croisée et comprend 1 800 pièces préfabriquées
sur place. Les voussoirs des piliers et consoles étaient collés
avant d'être précontraints. Les calculs des pièces
ont été réalises grâce à l'ordinateur
par l'entreprise Bouygues, leur mise au point faite par Pierre Richard.
Un programme nouveau de calcul sera mis en place. Il permettra une précision
de l'ordre du centimètre en extrémité de console après
un parcours de 80 m dans l'espace. Et Francis Bouygues soulignera à
juste titre que cette réalisation marque un nouvel âge de
la construction et constitue une formidable promotion pour son entreprise.
Le Parc des Princes devient une référence essentielle de
la culture de l'entreprise.
UN STADE POUR LE FUTUR
Cette architecture originale est tout entière air service du
public et du spectacle. La structure permet une parfaite visibilité
pour les 50 000 spectateurs qui bénéficient tous d'une place
assise et abritée, une mise en place efficace de moyens techniques
par la galerie technique qui abrite l'éclairage et devait aussi
supporter des écrans vidéo géants. Le Parc des Princes
est le premier stade pensé pour la télévision couleur.
Philips étudiera un système d'éclairage vertical.
Le Parc est enfin un stade bien équipé : salon présidentiel,
salon de presse, salle de conférences, centre médical, locaux
administratifs, vestiaires et terrain d'échauffement. Taillibert
avait imaginé une arène libre, à l'image du cirque romain : des grillages furent cependant
installés entre la pelouse et les tribunes et entre les tribunes
à la demande insistante de la Préfecture pour des raisons
de sécurité alors jugées « peu convaincantes
» par certains élus et journalistes !
Depuis son inauguration le 4 juin 1972, seule la pelouse a connu des
problèmes chroniques. Le gros-oeuvre, dont l'entretien est à
la charge de la Ville de Paris, n'a nécessité aucune intervention
significative. Même si le Grand Stade lui ravit bientôt la
vedette, le Parc des Prince reste un très bel exemple d'ouvrage
d'art en béton précontraint. Et sa démolition serait
une hérésie.
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