Article de Presse
Bâtir, n°5
Juin 1971
LE COLISEE DES TEMPS MODERNES
Solutions savantes pour réaliser des volumes
inédits
On a beaucoup débattu, il n'y a guère, devant l'opinion
de la nécessité d'avoir à proximité de Paris
un stade de 100 000 places qui fût digne des rencontres internationales
de rugby et de football. Le Bois de Vincennes devait en faire les frais,
ce qui ne plaisait pas à tout le monde : puis on parla d'autre chose.
Entre temps, des divinités étrangères aux sports en
décidèrent par le biais - si l'on peut dire - du boulevard
périphérique, dont le tracé en tranchée et
en souterrain condamnait irrévocablement le côté Est
de l'ancien stade vélodrome du Parc des Princes.
On envisagea d'abord de reconstruire purement et simplement les 17000
places sacrifiées avant de s'aviser que l'occasion était
bonne de reconsidérer l'avenir d'un ouvrage datant des années
1930 en portant à 50000 ses 37000 places, par une solution radicale,
à mi-chemin de l'ambitieux projet abandonné, mais en lui
donnant une destination moins exclusive, plus souple et plus rentable, grâce à des équipements audiovisuels
permettant d'organiser des rencontres et des spectacles nocturnes qui seraient
largement exploités par l'information télévisée.
Loin de chercher à mobiliser les foules, on prévoirait
deux secteurs de gradins. de 23 000 et 27 000 sièges, adéquats
aux probabilités de location. Il allait de soi qu'on y serait à
l'abri, qu'on y jouirait d'une vue panoramique, sans obstacle ni angle
mort et que toutes les installations propres à cette double vocation
spectaculaire seraient intégrées, comme au théâtre,
aux structures mêmes du nouvel ouvrage.
Ces impératifs simples du programme ont inspiré à
l'architecte, à défaut d'un nouveau Colisée, les lignes
insolites et magnifiques d'un anneau ouvré en béton nu dont
la conception et l'exécution font l'admiration des techniciens du
monde entier et l'étonnement des profanes.
Des formes d'une implacable
logique
Le nouveau stade du Parc des Prince réalise, avec les moyens
de notre temps, l'anneau idéal de l'art antique et son vélum
protecteur, mais sans la mâture d'antan, qui faisait obstacle à
la vue.
La superstructure est faite de 50 portiques d'inégale hauteur,
en porte à faux, dont les consoles ont à supporter la couverture,
et aussi, à leur extrémité, une galerie suspendue
destinée au logement des projecteurs. Cette galerie, qui surplombe
le terrain de jeu, en reproduit le contour, affectant ainsi la forme d'un rectangle curviligne ; on
lui a donné le nom de bandeau.
Vers l'extérieur, le stade serre au plus prés le terrain
en losange ; son périmètre est une ellipse tangente aux limites.
Il s'ensuit que les gradins sont inscrits entre deux courbes non homothétiques
; la longueur des consoles est, en conséquence, variable et la couverture
n'a pas en tous points la même largeur.
Le pourquoi des choses
La silhouette du nouveau stade est le fruit d'une conciliation raisonnée
entre les impératifs de situation, les données du programme
et l'obligation toute bête du drainage de la pluie recueillie par
le chêneau fixé au bandeau.
Elle résulte géométriquement de la correspondance
linéaire entre une enveloppe elliptique déterminée
par le terrain (d'axes 251,50 m et 191 m), une enveloppe intérieure
parallélépipédique rectangle concentrique (d'axes164,20
m et 99,58 m, déduite des dimensions imposées de la pelouse),
et enfin la structure conique des gradins, qui est définie par la
pente des poutres inclinées les recevant (l'inclinaison, de 34° et 27° 30', est fonction, elle, des
conditions de visibilité et d'emplacement). On conçoit, dès
lors, qu'en jouant sur la hauteur (variable de 34,30 m à 24,40 m)
des piliers de portique, qui est déjà tributaire statiquement
de la longueur des consoles (variable, de 32,5m à 45,64m), on puisse
obtenir une pente générale de ruissellement, d'une part vers
le bandeau-clé et, d'autre part, vers les quatre zone en contre
pente résultant dans les arrondis du rapprochement des contours
elliptique et rectangulaire ; donc des consoles courtes où passeront
effectivement huit conduites en acier inoxydable de 220 1/s de débit.
Les moyens de notre temps
On aura compris, aussi, que l’on a affaire à des portiques identiques
par quatre, de part et d'autre des axes, à raison de 25 de chaque
côté du petit (dont un est situé sur le grand). Suit
en tout 13 portiques-types.
La conception structurale basée sur la généralisation
de portiques en porte à faux n'a été concevable et
exécutable qu'en mobilisant les ressources du calcul électronique
(il aurait fallu prés de dix ans à un ingénieur exercé
pour calculer les treize portiques types !) ; celles de la précontrainte,
qui substitue des câbles d'acier mis en traction aux armatures du
seul béton armé et permet d'en réduire les sections
; du pouvoir adhésif, enfin, des résines de synthèse
qui recrée le monolithisme des ensembles coulés. Le tout
assorti d'une recherche esthétique affinant les courbures. De ces prémisses découlait logiquement la décision
de préfabriquer les portiques par éléments et de les
monter comme on lance un pont à voussoirs creux en utilisant lesdits
câbles pour compenser, avant de les mettre définitivement
en traction, les efforts de bascule successifs consécutifs à
l’assemblage.
Indiquons qu'un portique comprend :
-
un pilier ancré aux fondations et fait d'un certain nombre de blocs,
selon sa hauteur ;
-
une console, elle-même composite, dont le nombre de voussoirs varie
avec sa longueur ;
un fléau de bandeau, qui comporte le voussoir d'ancrage à
la console et deux voussoirs symétriques amorçant l'anneau.
Un jeu savant
On distingue trois catégories de câbles :
- Les câbles du pilier, qui sont insérés dans les voiles
d'extrados et d'intrados, suivant deux sens de traction ; vers le haut
dans le premier cas et vers le bas dans le second, En jouant sur les deux
nappes, on s'oppose, pendant le montage, au déversement arrière
du pilier seul, puis au basculement avant de la console.
- Les câbles de la console qui solidarisent, à l'extrados, les
voussoirs collés en concentrant vers l'arrière les moments
de flexion du porte-à-faux.
- Les câbles du bandeau qui clavettent le fléau à la
console et servent provisoirement à lancer les voussoirs du bandeau
(un câblage général les unira définitivement,
d'un joint à l'autre, c'est-à-dire d'un angle arrondi à
l'autre).
Tous les cônes d'ancrage actifs de la post contrainte du portique
sont nécessairement en tête et à l'extrados du pilier.
Cette procédure de construction interviendra d'ailleurs largement : par exemple, pour l'assemblage
des trois lourdes pièces constituant le voile courbe de couverture
qui ferme les intervalles de portiques ; et pour celui des corbeaux d'appuis
libres sur cales en Néoprène de l'infrastructure des gradins.
Avec une préfabrication foraine étendue, la systématisation
de la précontrainte est le trait dominant de ce savant chantier.
Nous signalerons, pour mémoire, la prouesse qui a consisté
à incorporer aux fondations du boulevard périphérique,
sur quelque 300 m, les seize portiques qui se trouvent à l'aplomb
de son paysage en souterrain et regrettons de ne pouvoir décrire
comme elles le méritent les manoeuvres acrobatiques mais assurées
que supposent de semblables assemblage au-dessus du vide, ainsi que les
matériels spéciaux utilisés. Les présentes
illustrations en donneront, au moins, une idée.
A titre indicatif, ces quelques chiffres en fourniront une autre quant
à l'importance du chantier : 500 ouvriers encadrés par douze
ingénieurs, dix techniciens, huit chefs de chantier et quarante
chefs d'équipe.
Architecte : Roger Taillibert, architecte en chef
B.C.P.N.
Etudes et gros œuvre : Entreprise Francis Bouygues.
Contrôle technique : Veritas.
Retour