Article de Presse


Chantiers coopératifs, Georges Bregou, ingénieur E.T.P.
Janvier 1972

Le nouveau stade du Parc des Princes
Une quintessence de l'art de bâtir


Le projet du nouveau stade du Parc des Princes, qui remplacera l'ancien vélodrome de 35000 places datant de l'entre-deux-guerres fut, naguère, présenté aux lecteurs de la présente revue par notre excellent confrère Marc Gaillard [Chantiers Coopératifs, n°5 de mai 1969].

Ce remarquable ouvrage de l'architecte Roger Taillibert venait alors d'entrer dans la phase de sa réalisation avec le creusement prioritaire du futur souterrain du boulevard périphérique entre les portes Molitor et de Saint-Cloud. Travaux qui allaient, faute de trouver un autre emplacement, empiéter sur un bon quart de son emprise et singulièrement compliquer les fondations des seize portiques intéressés. Il y aura, de cela, bientôt quatre ans !

En cette fin de l'année 1971, qui a vu l'achèvement du vertigineux anneau et à quelques mois de son inauguration, en 1972, il nous a paru convenable de montrer ce qu'il en a été de ces travaux exceptionnels qui vont doter Paris d'un stade de 50 000 places assises dédié aux maîtres du ballon rond ou ovale, enfin digne de lui ! Ce mérite, il ne le doit pas, certes, à sa taille, mais à la hardiesse de sa conception structurale et de sa traduction en béton manufacturé précontraint. L'une et l'autre ont été déduites, d'ailleurs, d'un certain nombre de servitudes de situation et de critères de fonction tels que, par exemple: l'exiguïté et la forme trapézoïdale du terrain, la nécessité de - pourvoir à l'abri de la totalité des spectateurs sans l'intervention d'appuis intérieurs [donc en porte-à-faux] afin de ne pas gêner la vision panoramique et, corollairement, les inclinaisons conjuguées de l'ossature des gradins ; l'évacuation de la pluie vers l'arrière de l'édifice, les dégagements nombreux et efficaces.

Son aspect de «mille-pattes lové» résulte donc logiquement de la corrélation de ces différents partis qui s'inscrivent entre, d'une part, deux enveloppes verticales non homothétiques, l'une extérieure elliptique, l'autre intérieure rectangulaire à l'aplomb de la pelouse et, d'autre part, l'ondulation en toboggan de la toiture qui rejette dans les angles et à contre-pente l'eau du ruissellement pluvial.

Le choix du béton comme matériau de gros oeuvre, quant à lui, de préférence à d'autres modes de construction possibles comme la charpente métallique associée à une structure de toit en bois lamellé-collé ou faite de coques légères suspendues à une nappe de câbles d'acier tendus, s'est trouvé pleinement justifié, à la fois par son moindre coût comparativement, et l'occasion d'une application transcendante de la précontrainte pour l'exécution des portiques en consoles dont le porte-à-faux maximal atteint 45,63 m et la hauteur extrême 32,50 m.


De l'acier, en quelque sorte, enrobé de béton !

Rappelons brièvement que la superstructure dudit stade consiste en l'association de divers éléments allégés ou massifs :

De cinquante portiques composés de pièces creuses préfabriquées (blocs de piliers et voussoirs de console) collées et solidarisées en équilibre par des câbles précontraints. Etant de hauteur et de portée variables, ils se renouvellent en périphérie, par quart, symétriquement aux deux axes de l'ellipse d'implantation (à l'exception des deux qui se trouvent dans le plan du plus grand de ces axes) à raison de treize portiques types (4 x 12 + 2). Chacun d'eux est ancré à un massif de fondations qui est commun à l'ossature en crémaillère indépendante, des deux étages de gradins, coulée en oeuvre, en vue de concentrer les efforts et d'en abaisser le point d'application résultant.

Deux planchers-dalles épais de 30 cm en béton armé, reliés par des escaliers aboutissant à trente-huit « vomitoires » d'accès, chaînent les cinquante « crémaillères » de gradins. Un troisième, isolé et surélevé, occupe l'intervalle de cinq portiques (côté entrée officielle) et constitue le niveau de la tribune présidentielle, laquelle dispose de deux ascenseurs et d'un salon.

D'un bandeau de stabilité suspendu à 27,50 m du sol, de forme rectangulaire à angles arrondis et d'une longueur développée de 462,45 m, divisée par quatre joints de dilatation. Il est, lui aussi, fait d'éléments évidés préfabriqués qui sont collés et fixés en fléau au bout des consoles par des câbles précontraints dont l'ancrage actif est situé dans l'extrados des piliers. Ils sont également solidarisés dans le plan du bandeau et par section, par une procédure de précontrainte. En plus de son rôle de clavetage des porte-à-faux de portiques, cet anneau aérien porte le chêneau général de la toiture et sert de «grille » d'éclairage de la pelouse et des gradins en vue des matches et spectacles nocturnes (on y circule à l'aise).

D'un couvert qui relève de l'intégration industrielle d'une suite de voiles minces périmétriques préfabriqués en béton placés dans les intervalles de portiques à la hauteur de leur «aisselle» et d'une couverture métallique légère et étanche réalisée au moyen de bacs autoportants en acier galvanisé, de pannes et d'arbalétriers scellés sur les faces verticales des consoles.

Précisons, cela dit, que le calcul des fatigues déterminées par des moments de renversement pouvant atteindre 2000 t/m et des efforts tranchants variant de 400 à 500 tonnes exigeait une approche mathématique des efforts réels et des déformations admissibles humainement rebutante pour l'ensemble des treize dossiers. Une telle étude représentait, en effet, une épreuve de quelque... sept années de travail pour un seul ingénieur exercé et pourvu d'une bonne machine à chiffrer. La solution pratique et économique quant aux délais se trouvait bien être l'emploi d'un ordinateur qui ne demanda que huit mois pour la formulation de ces programmes et seulement quelques jours pour leur traitement. A ces avantages, il convenait d'ajouter celui de pouvoir, à l'aide d'un « terminal », contrôler et rectifier dans l'espace, si besoin était, l'avancement géométrique des opérations d'assemblage.


Elégance et légèreté

Lorsque l'on aborde le chantier en son état actuel, la première impression que donne la vue du stade est celle d'une élégante légèreté. Il est de fait que le volume total de béton coulé ou manufacturé de ce seul ouvrage, à l'exclusion du passage souterrain, n'est que de 61000 m3, malgré ses imposantes dimensions que nous résumerons:
Une question vient ensuite à l'esprit du profane. Comment cela tient-il debout? C'est que les superstructures paraissent si minces relativement aux proportions de l'ouvrage et les porte-à-faux si osés ! Nous répondons qu'il n'y a aucun mystère à cela et que le « miracle » procède précisément des artifices de la précontrainte des câbles qui se substituent à une partie importante des armatures de béton classiques et transforment les flexions et les torsions en efforts de compression. Et, ce faisant, permettent de réduire notablement la section de matériau qui serait nécessaire pour une structure simplement armée, pour le même objet.

L'intervention de l'ordinateur a, aussi, l'avantage de pouvoir serrer au plus prés ces valeurs de résistance en partant de cet axiome du bon constructeur, que les poids inutiles font monter le prix des prestations. C'est pourquoi l'architecte, amoureux des belles formes, a tenu à ce que la coupe trapézoïdale des piliers, dictée par le calcul, soit amincie vers le sommet à la limite de l'épaisseur calculée (de 55 cm à 47 cm, soit 8 cm d'économie qui représentent des tonnes de béton en moins pour l'ensemble des portiques). Cette chasse aux surépaisseurs n'a pas peu contribué à cette élégance que nous relevions plus haut. Ajoutons que ce résultat a pu être atteint grâce à une étroite collaboration des services de l'architecte et de ceux du groupe spécialisé «Etudes et Ouvrages d'art » de l'entreprise pilote, Francis Bouygues.


Une solution qui n'est pas celle de la facilité

Après avoir essayé de rendre sensible la genèse du nouveau stade, le moment est venu d'en expliciter la réalisation. Ce que nous ferons brièvement en passant en revue les parties essentielles de sa superstructure et en indiquant les méthodes de travail mises au point pour les rassembler.

Portiques. - L'épure d'équilibre leur donne une silhouette qui s'apparente à celle de l'haltérophile portant un poids à bout de bras : même inclinaison équilibrée arrière du corps afin de décomposer l'effort imposé à l'épaule. Le pilier type consiste en un empilage de blocs gauches de même hauteur mais de coupe trapézoïdale variable suivant leur emplacement et leur nombre (14 au plus). Ils sont successivement assujettis, à compter du socle d'ancrage qui est lié aux fondations à son tour par des câbles précontraints, d'abord par un adhésif polymérisable, puis solidarisés monolithiquement par deux nappes de câbles verticaux placées, l'une dans le voile de l'extrados (avec des cônes d'ancrage mort en partie basse des redans), l'autre dans le voile de l'intrados (avec des cônes d'ancrage mort en partie haute des redans). Les cônes actifs se trouvant être, tantôt en partie haute, tantôt en partie basse.

Ces câbles d'acier jouent un rôle épisodique lors de l'assemblage en s'opposant, en premier lieu, au renversement du pilier en l'absence de la console, puis en second lieu, à son basculement au fur et à mesure que l'on ajuste les voussoirs de cette dernière (en relâchant ceux de l'intrados et en tendant ceux de l'extrados jusqu'à la position d'équilibre requise, fléau de bandeau inclus). On a affaire, ici, à des câbles de 12.T.13 procédant des brevets Stup.

Consoles. - Ce « bras » du portique est composé de voussoirs dont la longueur croît en se rapprochant du bandeau, mais dont la largeur est constante (de 1,40 m) à partir du quatrième voussoir côté «épaule». Ces différentes pièces sont, comme les blocs de piliers, collées et confortées par des brélages amovibles en attendant d'être solidarisées par les câbles de précontrainte dont les cônes actifs sont nécessairement placés à la jonction pilier-console. Les câbles utilisés sont, cette fois, des 12 Ø 8.

Sans vouloir entrer dans le détail de ces opérations, nous attirons simplement l'attention du lecteur sur leur complexité tant au stade de la préfabrication (ne serait-ce que pour réserver le passage des câbles qui s'accumulent en se rapprochant de « l'épaule » du portique) et, aussi, au moment de leur mise en traction définitive. Tous ces travaux s'effectuent avec l'aide de puissants et originaux engins, savoir :
Coffrage des poutres à crémaillère et mise en place des gradins

Lesdites poutres de l'étage inférieur, les planchers-dalles avec leurs garde-corps, les escaliers ont été coulés en oeuvre sur un échafaudage de pied. Celles de l'étage supérieur ont, par contre, bénéficié d'un sommier mobile spécial articulé sur des vérins hydrauliques, qui réceptionnait un coffrage répétitif, dans la position optimale de 34°.

Les gradins occupent les deux étages de location ; l'un, inférieur, qui est incliné de 25° 30', de 23 000 sièges ; l'autre, supérieur, qui est incliné de 34° et de 27000 sièges. Ce sont des poutres en M, longues de 12 m (de l'intervalle des portiques), scellées sur les poutres à crémaillère qui en épousent la forme. Elles seront garnies de sièges souples en matière thermodurcissable qui seront, par précaution, fixés solidement (sans possibilité de les utiliser comme... projectiles). Ces poutres en M pèsent plusieurs tonnes et ont été présentées au moyen d'un pont de roulement particulier conçu pour cet usage et qui se déplace sur les portiques. Il consiste en deux chariots sur boggies équipés d'un berceau pivotant à rotule et dans lequel coulisse la poutre-pont portant les deux palans de levage télécommandés, de 6 tonnes de puissance. Cet engin aérien peut donc s'accommoder des différents rayons de courbure de l'extrados des consoles et de leur convergence vers le bandeau. Il se meut par simple gravité sur des rails et est arrimé à volonté par des tireforts ancrés à « l'épaule » du portique. Cette même poutre-pont a une longueur légèrement supérieure à 24 m afin de permettre sans démontage la translation du système de levage (chariots) d'une console à l'autre, avec le secours d'un simple chevalet à palan.
Les voiles de couverture. - Ce sont des éléments autoportants, de 3 m de hauteur développée et de 12 m de longueur. Chacun d'eux est composé de trois voiles dont un courbe, préfabriqués en béton légèrement armé et liés par trois câbles d'extrados mis en tension. Cette clôture, qui abrite latéralement de la pluie les gradins de l'étage supérieur, s'insère librement dans les rainures de corbeaux préfabriqués en béton, en trois parties de même hauteur que ces voiles, que l'on a intimement liés par de courts câbles précontraints à l'intrados des piliers.


De l'emploi systématique des corbeaux préfabriqués

Ces pièces annexes porteuses de la construction ont joué un rôle déterminant dans l'assemblage des diverses structures du stade. Ils réalisent, en quelque sorte, les «coutures» inexécutables en oeuvre. Leur incorporation précise au moulage des blocs de piliers, s'avérant d'autre part impossible, on a choisi de les fabriquer eux aussi, en réservant seulement dans lesdits blocs leur encastrement et le passage du ou des câbles de liaison, le cône actif étant obligatoirement placé sur la face interne du voile intéressé.


A propos des phénomènes de retrait-dilatation du gros oeuvre

Une telle sujétion ne se pose pas pour les pièces préfabriquées et assemblées par précontrainte. Il n'en est pas de même pour le gros œuvre coulé « in situ ». Indiquons à ce propos que les ossatures d'étages de gradins ne sont que très partiellement prises en compte par les portiques. Il a donc fallu les désolidariser à la construction et les associer élastiquement ensuite en les reprenant par des corbeaux doublés de cales en néoprène qui assureront le libre jeu de ces mouvements relatifs. Il en sera de même des dalles plus ou moins en porte-à-faux et des garde-corps.


Aperçus de la fabrication foraine

On aura compris par ce que nous venons de dire que le succès pratique de cette construction très particulière dépendait de la maîtrise des préfabrications. Après diverses péripéties d'ordre administratif, l'entreprise a pu heureusement disposer, en avril l970, de l'ancienne pelouse et y installer son usine foraine. On y dénombrait lors de nos visites, outre une centrale à béton d'une capacité horaire de 80 m3: le poste mixte de fabrication des blocs et des voussoirs de portiques qui utilisait le même moule à géométrie variable, sorte d'atelier d'une conception très élaborée eu égard à leurs variations dimensionnelles (soit en tout 1200 pièces): le poste de fabrication des 150 voussoirs du bandeau-clé d'une section trapézoïdale constante, mais de longueur variable suivant leur emplacement; l'atelier des armatures et l'aire de traçage des noyaux de moules: diverses tables de coulage à plat des voiles, poutres de gradins, panneaux de chêneau, moules de corbeaux, voire certaines poutres de sous-sols.


Une belle et bonne solution, en somme!

Nous nous sommes bornés au long de cette chronique technique à l'exposé des données architectoniques du nouveau stade en nous efforçant d'en rendre perceptible la transcendance du parti constructif. Chacun pourra d'ailleurs bientôt, le juger sur pièces.

On s'active présentement, en effet, à ses aménagements intérieurs: vestiaires des joueurs, groupes sanitaires publics, éclairage, réseau de télévision et sonorisation, etc. Viendra en dernier ressort la restauration de la pelouse (laquelle sera sans doute artificiellement drainée) et des deux terrains réglementaires qui seront protégés par un fossé « anti-fanatiques », à la demande de M. le Préfet de police. Il y a tout lieu de penser que tout sera en ordre lors du match inaugural prévu pour le mois de juin l972.

Quelques confrères ont, d'un autre point de vue, laissé entendre que le coût de cette construction hors série serait trop élevé. A cela, nous pouvons répondre que si nous ne sommes pas dans le secret des dieux, « notre petit doigt nous a dit » qu'il n'était que de quelques milliards de francs anciens. Et nous tenons de l'architecte en personne que ce prix «actualisé» (en quatre ans, un marché se dévalue à son corps défendant) est de loin inférieur à celui d'un stade équivalent, non couvert mais équipé d'escaliers mécaniques, construit aux Etats-Unis où les salaires sont, du reste, élevés ! Ce que nous pouvons assurer aussi, c'est que la réalisation du nouveau stade du Parc des Princes a énormément intéressé les ingénieurs du monde entier.

D'aucuns, enfin, boudent sa taille moyenne et rêvaient d'un stade de 100000 places ! Nous ne sommes pas de leur avis et croyons que le style de l'ancien « Cirque Maxime » romain convenait sans doute aux jeux plébéiens de l'Antiquité mais non à une exploitation raisonnable des lieux. Contrairement à la formule polyvalente adoptée à la Porte de Saint-Cloud, qui en favorisera la rentabilité à travers le sport ou des spectacles de plein air télévisés. Ce que l'avenir, espérons-le, confirmera.


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