Article de Presse


La Construction Moderne, R. Pierry
Mai-Juin 1971

PARC DES PRINCES
POUR LES DIEUX DE LA PELOUSE


Revivre sa jeunesse

Avant de construire un stade, sans doute faut-il s'interroger sur le phénomène qu'est le sport. M. Taillibert, architecte en chef des bâtiment ,Civils et Palais Nationaux l'a parfaite ment analysé. On distingue deux sortes de sports : le sport individuel et le sport collectif, non pas pour distinguer celui que l'on pratique seul ,comme le tennis, de celui d'équipe, mais pour différencier la pratique du sport par l'individu et les rassemblements de « sportifs » spectateurs que provoquent les grands matches.

La pratique du sport à titre individuel, c'est la défense de la santé rattachée à tout ce qui touche l'environnement.

Les rassemblements pour une épreuve sportive relèvent des relations sociales. C'est un groupement ,une rencontre, qui fait penser aux jeux du cirque des Romains : il se livre un combat dont les péripéties font vibrer les spectateurs, toujours sensibles aux mêmes exploits.

Ces spectateurs forment alors une foule qui réagit comme telle. On sait que l'individu placé dans une foule acquiert un sentiment de puissance invincible, devient irresponsable et acquiert une suggestibilité extrême .

La foule se trouve donc dans un état d'attention expectante favorable à la suggestion. Toute formule s'impose par contagion à tous les cerveaux et établit aussitôt l'orientation .On ne raisonne que par association d'idées n'ayant entre elles que des liens apparents, car le raisonnement est effectif. Le moindre exploit l'électrise, la moindre entorse l'indigne, car la foule est intolérante, autoritaire et conservatrice.

L'atmosphère qui règne a ce caractère enivrant des rassemblements et l'on a vu parfois, en Amérique du Sud surtout, que le climat créé n'est pas toujours souhaitable.

Mais cette participation exaltante d'une foule, qui fait que des individus au demeurant parfaitement calmes et pondérés, prennent un plaisir certain à hurler des slogans, des encouragements, ou des réprobations sommaires n'est pas la seule raison, ni peut-être la principale.

Un certain nombre de spectateurs pratiquent eux-mêmes le sport dont une épreuve va se dérouler sous leurs yeux. Ce sont les plus jeunes. Les autres, plus âgés, anciens sportifs ou non, viennent là pour s'imaginer capables des mêmes exploits. En rêve et pour une paire d'heures, ils retrouvent souplesse et vigueur, revivent leur jeunesse.


Quels principes ont guidé la conception du Parc?

Pour moi, dit M. Roger Taillibert, un stade c'est une arène où l'on circule. Il s'y fait un brassage humain important.

Le deuxième impératif est celui d'une vision globale ; quel que soit l'endroit où l'on se trouve, on doit avoir un panorama complet sur l'action qui se déroule.

C'est également un endroit où s'opère une circulation horizontale, ce qui nécessite une très grande surface.

D'autre part, l'accès doit en être facile.

Pendant les arrêts de matches, les spectateurs se répartissent dans les circulations, pour bavarder, pour consommer, etc... Donc, certaines surfaces passives pendant le match deviennent actives pendant les arrêts.

A mon avis, précise M. Taillibert, on devrait pouvoir, pendant l'intermatch, mettre en place et en quelque secondes un dispositif de projection à l'échelle du stade, permettant de revoir certaines séquences du match ou d'autres matches pour comparer et provoquer discussions et échanges sur la mécanique et l'intelligence du jeu des dieux de la pelouse.

La grande couronne d'éclairage du Parc a été conçue avec cette arrière-pensée.


Un grand studio

Aujourd'hui, il faut noter qu'un stade n'est pas seulement conçu pour les spectateurs, mais doit pouvoir permettre l'utilisation des moyens modernes d'information.

C'est la raison pour laquelle le Parc des Princes est équipé comme un immense studio de télévision disposant de 28 cabines de verre en forme de diamant donnant une vue panoramique de l'ensemble du stade. Les retransmissions en mondiovision sont donc possibles, même sur les chaînes couleur, puisque la grande couronne d'éclairage qui ceinture le stade, intégrée à l'architecture même, rend possible une régulation d'éclairement.

Cette conception et ces équipements permettent d'ailleurs d'envisager l'utilisation du stade, bien que conçu spécialement pour les matches internationaux de football et de rugby, pour des grands spectacles de plein air ou des fêtes de gymnastique. 500 vestiaires de gymnastes ont d'ailleurs été incorporés aux aménagements.


Les équipements et les aménagements

En fonction du nombre de spectateurs attendus, le stade a été conçu en deux niveaux séparés, parfaitement indépendants, qui permettent d'accueillir 23000 et 27000 spectateurs.

Dans les aménagements sont prévus :
Technique

C'est une ellipse de 260 m dont les pelouses, nous l'avons dit, répondent aux normes exigées pour les matches internationaux de football et rugby. Couverte, elle permet l'accueil de 50000 spectateurs ayant une vision globale du jeu.

La construction s'est compliquée dit fait qu'une partie du stade se trouve sur un tunnel souterrain du boulevard périphérique : il fallait donc superposer deux ouvrages de caractères très dissemblables.

La circulation automobile s'effectuant suivant un axe différent de celui du stade, il a fallu renvoyer les efforts au-delà du système de construction du tunnel.


Conception architecturale

Elle découle de cette conception d'arène à visibilité totale ayant une couverture protégeant le spectateur.

Elle découle aussi de l'étroitesse du terrain et du caractère urbain du stade qui a dicté une modulation travée-portique.

L'aspect de la toiture, qui prend une nuance sinusoïde, correspond au renvoi des eaux à l'extérieur, toujours pour éviter les points d'appui intérieurs qui détruiraient la vue globale.

Un autre impératif important a été le poids. Sur certains points de fondations, on arrive à 2 200 t. mais c'est une limite à ne pas dépasser.

Pour y arriver, M. Taillibert a imaginé une console en porte-à-faux sur le spectateur et en déséquilibre à l'extérieur, ce qui annule une partie des efforts et a permis de découvrir cette forme jaillissant du sol pour ensuite trouver un rythme dans l'espace qui répond aux phénomènes climatiques (pluie, neige, vent).

C'est là où l'on mesure d'ailleurs l'apport de l'architecte. Si la technique pure est facile à analyser, la solution esthétique qu'apporte l'architecte, elle, relève du talent. Purement et simplement.

Il faut dire qu'en ce qui concerne le Parc des Princes, la réussite est complète. Si complète que sa beauté a inspiré au peintre Roger Lersy une série de dessins dont l'une a servi à faire notre couverture.

Pour M. Taillibert, faire l'Arc-de-Triomphe en empilant de la pierre manque d'intérêt.

Employer très peu de matière, le moins possible, pour répondre aux impératifs de poids et la placer là où il faut est l'intérêt de la construction contemporaine, comme ont su le faire les bâtisseurs de cathédrales par la science de la stéréotomie.

L'architecture métallique du XlXe siècle procédait d'ailleurs du même esprit.

Les consoles du Parc des Princes sont des voiles tubulaires de sections triangulaires ou rectangulaires complètement vides. On peut circuler librement à l'intérieur de ces tubes de béton dont l'épaisseur n'est que de 18 centimètres pour un porte-à-faux de 45 mètres !

La technique employée est celle du voussoir collé, posé à l'avancement.

C'est une technique déjà utilisée pour les ponts [celui qui relie l'île d'Oléron au continent par exemple) mais qui est ici, et pour la première fois, utilisée verticalement et horizontalement.


Une maquette grandeur nature

La première console a naturellement été un essai grandeur nature qui a servi à vérifier toutes les études de base de cette opération.


Taylorisme biblique

L'industrialisation a été poussé très loin. Tout a été conçu pour que chaque opération se fasse suivant un rythme précis de 7 jours comme la création du monde : préfabrication, pose, finition.

La capacité de la grue, seule en France à pouvoir placer 25 t à 25 mètres, a amené la standardisation des éléments entre 20 et 25 t.

Pratiquement tout est préfabriqué. Les gradins sont posés à sec sur un encastrement prévu avec appui néoprène. Les voiles courbes préfabriqués sont mis en place d'une seule pièce sur 14 mètres de longueur. Ce dispositif permet donc la mise en place, dans un temps variant de 5 à 20 minutes, de 20 t de matière correspondant à un élément. Comme le chantier (sans gradins) comprend 1800 pièces, on voit que le montage de l'ensemble représente quelque chose comme 300 heures de montage ! Trop employé, l'adjectif a perdu de sa valeur, mais il s'applique bien ici : fantastique.

Les gradins sont également mis en place par un dispositif mécanique et une travée sur deux niveaux est posée en quatre ou cinq jours.

Cette conception intelligente va permettre de gagner 8 mois sur un programme prévu sur deux ans environ.

Alors que l'on jouait encore au football sur la pelouse de l'ancien Parc le 14 juin 1970, le nouveau sera terminé fin avril 1972.


La couverture

La couverture mérite aussi une mention spéciale. Elle est constituée par un dispositif métallique suspendu aux bras fléaux. Elle absorbe les déformations et fait correction acoustique de l'ensemble de l'arène. Modulée à une certaine cadence, elle crée au plafond un rythme décoratif.


Le souci du détail

Dans son étude du Parc des Princes, M. Taillibert n'a rien laissé au hasard. Les sièges eux-mêmes ont été dessinés suivant ses indications. Rabattus, ils sont confortables, relevés ils forment des signaux circulaires dont la couleur est en harmonie avec ceux des billets. Tous les tenants inconditionnels du passé feraient bien de réviser leurs conceptions. Il se fait toujours de la grande architecture, qui sait employer les techniques et les moyens actuels pour abriter les manifestations de la vie sociale d'aujourd'hui.


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